35. LES CAILLOUX
Toujours rien à manger.
Ils rentrent bredouilles au bivouac improvisé.
En les attendant, sans écouter les exhortations de l’ex-chef de horde, les autres ont commencé à ronger des racines et des herbes extirpées de la terre. Beaucoup sont malades et vomissent. On a beau être omnivore, il y a des limites à tout.
Le chef de horde présente un rat crevé trouvé pendant la fuite. Il est déjà un peu faisandé, mais la première femelle le happe.
Tous ont si faim.
Manger est le premier besoin. Et si IL croyait pouvoir l’oublier en s’intéressant à l’évolution spirituelle, il en est quitte pour éprouver de douloureuses crampes d’estomac.
Les affres du manque de protéines commencent à rendre ses compagnons agressifs. Certains mâles frappent les enfants et suggèrent carrément de les manger. Les femelles sont obligées de se regrouper pour faire un mur afin de protéger la nouvelle génération.
Tous savent que s’ils ne découvrent pas rapidement une solution au problème alimentaire, la horde risque d’éclater. Il faut tout faire pour ne pas en arriver à une telle extrémité.
Le vieux chef lance un appel. Il a trouvé quelque chose au pied de l’arbre. Les autres descendent.
L’ancien chef désigne une termitière. Femelles et mâles dominants se moquent de lui. Tout le monde sait que si l’on s’approche des termites, ils s’en vont. Et même si on parvient à les rattraper, il en faut d’énormes quantités pour satisfaire ne serait-ce qu’un seul appétit. Le vieux prétend qu’il suffit d’agir avec méthode. Il s’empare d’un bâton, l’enfonce dans la termitière et l’en ressort recouvert de termites qui sont venus mordre le morceau de bois afin qu’il cesse d’embêter leur cité.
On dirait des sucettes noires et grouillantes. Au point où l’on en est, on n’a rien à perdre à essayer. A tour de rôle, chacun plonge sa brochette improvisée dans la cité et la ramène recouverte, en effet, de grappes de soldats défenseurs surexcités.
C’est croustillant.
Mais le chef de horde s’énerve. Cette technique est trop lente. En plus, les termites, ce n’est pas bon et vraiment pas assez nourrissant. L’ancien assure qu’au centre du monticule, il y a la reine des termites, laquelle se présente sous la forme d’une grosse et succulente limace blanche.
Sans attendre, l’actuel chef de horde saisit une lourde pierre et la projette sur la termitière. Panique dans la cité. D’un coup, tous les insectes s’enfoncent sous terre. Il ne reste plus le moindre termite en vue. Ni espoir de nourriture. Le chef de horde fait le fier et, loin de reconnaître son erreur, demande que, comme lui, on assaille la termitière à coups de cailloux.
IL considère son supérieur avec déception. On a les chefs qu’on mérite, dit-on. Peut-être après tout ne sont-ils pas les plus évolués des animaux.
Le chef de horde s’acharne avec un rocher sur la cité désertée. Ce n’est pas parce qu’il a tort qu’il va reconnaître son erreur, ni s’arrêter d’avoir tort. C’est ça aussi, le privilège des chefs. Les dominants se sentent obligés de l’aider.
IL reste en retrait et les regarde, navré. IL pense qu’il n’est peut-être pas né au bon endroit.
La horde est une horde de primaires dirigée par un super-primaire.